Urbanisation et migration
Les migrations, qu’elles soient internes ou internationales, ont toujours été un moteur d’urbanisation et créatrices de chances et de défis pour les villes, les migrants et les gouvernements. Les autorités municipales sont de plus en plus largement reconnues comme acteur essentiel de la gestion des migrations, et ont commencé à intégrer les migrations dans leurs aménagements urbains et la mise en œuvre de ces derniers.
Pour que les villes puissent mieux gérer les migrations, elles doivent impérativement disposer de données sur la migration et l’urbanisation. Cependant, ces données ne sont pas toujours disponibles ou, si elles le sont, ne sont pas utilisées ou accessibles à l’échelle urbaine, ni ventilées, exhaustives ou comparables, en particulier dans les pays à faible revenu.
Les données pourraient améliorer l’aménagement urbain et la fourniture de services publics ; et contribuer à mesurer les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) relatifs aux villes et à la migration, à mettre en œuvre le Pacte mondial pour les migrations et le Pacte mondial sur les réfugiés, qui soulignent le rôle des villes en tant que parties prenantes des migrations, et à tenir les engagements relatifs à la migration pris au titre du Nouveau Programme pour les villes d’ONU-Habitat.
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Définitions
Les concepts et définitions clés suivants sont importants pour comprendre l’urbanisation et la migration. La liste ci-dessous n’est pas exhaustive :
La définition du terme urbain pose problème, et il n’existe pas de définition mondialement acceptée de ce qui caractérise un établissement urbain. Ce que les offices nationaux de statistique entendent par « urbain » varie d’un pays à l’autre, ainsi que, souvent, au fil du temps au sein d’un même pays. Certains pays se basent sur le nombre d’habitants et la densité de population, tandis que d’autres appliquent une définition administrative de ce qui caractérise une zone urbaine. D’autres encore prennent en compte des critères supplémentaires tels que la part de la population active travaillant dans les secteurs non agricoles et la disponibilité d’infrastructures ou de divers services ; éducation, santé et autres (OIM, 2015 et Nations Unies, 2018). La plupart des seuils de population « urbaine » se situe entre 1 000 et 5 000 habitants (OIM, 2015).
L’urbanisation ou la « transition urbaine » désigne « la transition d’une situation dans laquelle la population est dispersée dans de petites zones d’installation rurales où l’agriculture constitue la principale activité économique vers une forte concentration de la population dans des zones urbaines plus grandes et plus denses et (...) par la place prépondérante qu’occupent l’industrie et les services » (Nations Unies, 2018).
L’urbanisation résulte généralement d’un ou de plusieurs des processus suivants :
- la croissance démographique naturelle ;
- le départ d’un nombre accru de personnes des zones rurales vers des zones urbaines ;
- l’élargissement des frontières de ce qui est considère comme urbain ; et/ou
- la création de nouveaux centres urbains.
« Très souvent, l’urbanisation est due principalement à la migration » (OIM, 2015).
On confond souvent urbanisation et croissance de la population urbaine, alors qu’il s’agit de concepts distincts. Il peut y avoir croissance urbaine sans urbanisation si les zones urbaines et rurales croissent au même rythme. La croissance urbaine est l’augmentation du nombre absolu de personnes qui vivent dans des zones urbaines données. Elle s’entend de « l’augmentation de la proportion de la population urbaine au fil du temps dans l’ensemble de la population ». La croissance urbaine résulte de la croissance démographique ainsi que des migrations internationales et internes (OIM, 2015).
Migration urbaine-urbaine, migration rurale-rurale, migration rurale-urbaine et migration urbaine-rurale : ces migrations correspondent au mouvement de personnes d’une zone urbaine ou rurale vers une autre zone urbaine ou rurale afind’établir une nouvelle résidence (OIM, 2019). Elles peuvent survenir au sein de frontières nationales ou donner lieu au franchissement d’une frontière internationale (IOM Glossary, 2011).
Il est également délicat de définir les villes, car la définition de ce qui constitue un établissement urbain varie, et il n’existe pas de critères internationaux harmonisés permettant de caractériser une ville (DAES, 2018). Les frontières de chaque ville peuvent être définies de multiples manières. De manière générale, on distingue trois concepts :
- La ville proprement dite décrit une ville selon une frontière administrative (ibid.).
- L’agglomération urbaine prend en compte le territoire de la zone urbaine, ou zone bâtie, contiguë pour délimiter les frontières de la ville, et est par conséquent plus grande que la ville elle-même (ibid.).
- La zone métropolitaine définit ses frontières selon le degré d’interconnexion économique et sociale des zones voisines, qui se caractérise par exemple par des structures de commerce ou de transport interdépendantes. La zone métropolitaine est plus grande que la ville elle-même, et peut être aussi grande que l’agglomération urbaine, mais distincte. Si les agglomérations urbaines et les zones métropolitaines peuvent toutes deux être définies selon des critères de taille, de densité et de contiguïté, la définition de ces dernières prend en compte d’autres critères tels que les fonctions administratives, et les activités industrielles et les services disponibles, pour en citer quelques-uns (ibid.).
Les villes peuvent également être catégorisées en fonction de seuils de population (OIM, 2015, d’après les critères définis par le DAES) :
- Les petites villes comptent jusqu’à un million d’habitants.
- Les villes moyennes comptent entre un et cinq millions d’habitants.
- Les grandes villes comptent entre cinq et dix millions d’habitants.
- Les mégapoles comptent dix millions d’habitants ou plus.
Tendances récentes
Urbanisation
Une majorité et une proportion croissante de la population mondiale vit dans des zones urbaines. La part de la population mondiale vivant en milieu urbain devrait passer de 55 % en 2018 à 60 % en 2030 (Nations Unies, 2018). En 1950, 30 % de la population mondiale vivait dans des zones urbaines (ibid.).
En 2018, l’Amérique du Nord était la région la plus urbanisée du monde, puisque 82 % de sa population était concentrée dans des zones urbaines, suivie de l’Amérique latine et des Caraïbes (81 %) puis de l’Europe (74 %) et de l’Océanie (68 %) (Nations Unies, 2018). Les taux les plus faibles d’urbanisation sont relevés en Asie (50 %) et en Afrique (43 %), avec toutefois de larges écarts entre certains pays (ibid.).
La plupart des villes affichant la croissance la plus rapide dans le monde se trouvent en Asie et en Afrique. Entre 2018 et 2050, la population urbaine d’Afrique devrait tripler et celle de l’Asie devrait augmenter de 61 %, ce qui signifie que la majorité des personnes vivant en milieu urbain se trouvera dans ces deux continents (21 % et 52 %, respectivement) (Nations Unies, 2018).
L’accroissement de la population urbaine a été stimulé par la croissance des villes de toutes tailles. En 2018, les mégapoles, désormais au nombre de 33, accueillaient 13 % de la population urbaine mondiale (Nations Unies, 2018). D’ici à 2030, les mégapoles devraient être au nombre de 41, et accueillir 14 % des citadins dans le monde (ibid.).
Urbanisation et migration
On estime qu’environ un migrant international sur cinq vit dans l’une des vingt villes suivantes : Beijing, Berlin, Bruxelles, Buenos Aires, Chicago, RAS de Hong Kong (Chine), Londres, Los Angeles, Madrid, Moscou, New York, Paris, Séoul, Shanghai, Singapour, Sydney, Tokyo, Toronto, Vienne et Washington D.C. (OIM, 2015)1
. Dans 18 de ces villes, les migrants internationaux représentaient quelque 20 % de la population totale (ibid.).
Dans certaines villes, la part des personnes nées à l’étranger dans la population totale est largement supérieure à la moyenne mondiale (environ 3,5 %) (OIM, 2015). À titre d’exemple, les personnes nées à l’étranger représentent près de 83 % de la population de Dubai, 62 % de celle de Bruxelles, 46 % de celle de Toronto, 37 % de celle de New York et 35 % de celle de Melbourne (ibid.).
Différents types de migration jouent un rôle dans la croissance et la diversité urbaines, mais à des degrés divers. Dans les pays développés, l’une des principales sources de la diversité des populations est la migration internationale, tandis que dans les pays en développement, il s’agit probablement des migrations internes (OIM, 2015), en sus de la croissance démographique générée par un nombre de naissances supérieur au nombre de décès.
Dans certains pays, tels que la Chine et la Thaïlande (80 %), le Rwanda (79 %), l’Indonésie (68 %) et la Namibie (59 %), l’exode rural et le reclassement de ce qui est réputé urbain ont été à l’origine de plus de la moitié de la croissance urbaine (Nations Unies, 2018). Des migrations circulaires et temporaires sont observées dans de nombreuses zones urbaines de pays asiatiques et africains qui connaissent une urbanisation rapide, en particulier en Chine et en Inde, ainsi qu’au Ghana et au Kenya (ibid.).
Sources de données
À l’instar des sources de données sur les migrations, des sources de données sur l’urbanisation existent. Il est en revanche plus difficile de trouver des sources de données fiables, comparables et exhaustives qui associent des données sur la migration et sur l’urbanisation.
Le défaut général des données sur la migration (disponibilité et accessibilité) à l’échelle urbaine, en particulier concernant les pays à faible revenu, pourrait témoigner 1) de la focalisation de longue date sur la nation comme unité d’analyse dans le cadre de la recherche et des politiques en matière de migration et 2) du clivage général entre les politiques nationales et locales en matière de collecte de données à des fins de gestion des migrations.
Les principales sources de données qui réunissent des données tant sur la migration que sur l’urbanisation sont les suivantes :
Les recensements enregistrent généralement des données à l’échelle des villes sur la population de migrants internationaux environ tous les dix ans; les données recueillies étant basiques et agrégées. Les recensements peuvent sous-dénombrer les migrants, car ils excluent habituellement les données sur les migrants irréguliers et sur les migrants vivant dans des zones périurbaines ou situées entre les banlieues et la campagne. Les recensements recueillent également des données à l’échelle des villes sur les migrations internes en relevant les changements de résidence d’individus dans une période donnée.
Les registres de population réunissent également des données à l’échelle des villes sur les migrations internes et sur la population de migrants internationaux. Par rapport aux recensements, les registres de population fournissent des données plus actuelles, actualisées plus fréquemment et plus riches en informations démographiques et socioéconomiques. À l’instar des recensements, les registres de population ne recueillent généralement pas de données sur les migrants irréguliers. Par ailleurs, les registres de population n’existent que dans un nombre relativement réduit de pays, en général dans les régions plus développées du monde.
Les enquêtes peuvent recueillir des données à l’échelle des villes sur les migrations internes et internationales, mais fournissent des données plus détaillées sur les migrants que les recensements et les registres de population. Les enquêtes démographiques et de santé (EDS), par exemple, peuvent produire des données sur les résultats des migrants en matière de santé et des informations relatives à la nutrition à l’échelle des villes. Les EDS peuvent également générer des données sur les migrations internes rurales-urbaines et, parfois, sur les migrations internationales rurales-urbaines. Par ailleurs, les enquêtes sur le marché du travail peuvent fournir des données sur les résultats socioéconomiques des migrants, utiles pour mesurer l’intégration des immigrants.
Par rapport aux recensements et aux registres de population, les enquêtes rendent mieux compte des migrants sous-dénombrés tels que les migrants irréguliers, et facilitent l’identification des groupes de migrants tels que les femmes, les enfants et les réfugiés.
Les sources de données administratives, telles que les statistiques aux frontières, les permis de résidence et les registres de naturalisation, peuvent inclure des données à l’échelle des villes sur les migrants internes et internationaux mais ne sont pas exhaustives, ne sont pas toujours accessibles au public, ne prennent pas en compte les migrants irréguliers et peuvent surdénombrer les migrants.
Site Internet Globalization, Urbanization & Migration (GUM) : la base de données urbaines mondiales GUM constitue un premier effort en vue de créer un ensemble de données mondiales exhaustives et comparables sur les articulations entre les villes et l’immigration. Reposant sur les données de recensements nationaux et sur les données des Nations Unies en matière d’urbanisation, elle renferme des données à l’échelle urbaine qui mesurent l’immigration dans plus de 150 zones métropolitaines (plus d’un million d’habitants) de plus de 50 pays. Les données couvrent les villes carrefours traditionnelles et les destinations émergentes des immigrants.
Ces sources de données clés sur l’urbanisation sont importantes pour la recherche sur la migration :
- Le rapport World Urbanization Prospects : depuis 1998, le Département des affaires économiques et sociales du Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies publie des estimations et des projections, actualisées chaque année, des populations urbaines et rurales ainsi que des principales agglomérations urbaines de tous les pays du monde.
- Le système de collecte de données de l’Annuaire démographique de la Division de statistique des Nations Unies réunit et diffuse des données sur la densité de population et l’urbanisation qui proviennent de bureaux de statistique nationaux. Plusieurs tableaux, présentés dans l’Annuaire, fournissent des statistiques ventilées en fonction de leur caractère urbain et rural. Des données sur la population dans les capitales et les villes de plus de 100 000 habitants sont également disponibles. La Division de la population des Nations Unies utilise ces données pour calculer les estimations présentées dans le rapport World Urbanization Prospects.
- Le Programme des Nations Unies pour les établissements humains (ONU-Habitat) recueille, regroupe, analyse et communique des données à l’échelle nationale, urbaine/rurale et des villes en vue d’observer les situations et les tendances en matière d’établissements humains. Le Recueil des statistiques des établissements humains, les Rapports mondiaux sur les établissements humains et les Rapports sur l’état des villes du monde comptent parmi les principales publications d’ONU-Habitat.
L’Observatoire urbain mondial d’ONU-Habitat est une unité statistique spécialisée qui appuie la collecte et l’analyse de données aux fins d’indicateurs urbains. L’Observatoire urbain mondial gère également la base de données des indicateurs urbains mondiaux, et appuie le suivi et l’établissement de rapports au titre du Nouveau Programme pour les villes et de l’ODD 11, qui vise à « faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables ».
Points forts et limites des données
Les données sur l’urbanisation et la migration montrent que la migration est – et continuera d’être – un moteur de croissance et de diversité des villes. Cependant, certaines limites des données migratoires et des données reliant la migration et l’urbanisation empêchent les chercheurs et les décideurs politiques de comprendre pleinement les incidences des migrations sur les villes et les effets d’une installation en ville sur les migrants. Ce type de données, de même que la volonté politique d’exploiter les données disponibles, sont nécessaires pour aménagement urbain efficace, de meilleurs services et politiques socioéconomiques qui facilitent l’intégration des migrants, la cohérence politique et une coordination avisée entre les différents niveaux de gouvernements et d’autres parties prenantes.
Diverses limites de l’utilisation de recensements, d’enquêtes, de registres de population et de sources administratives aux fins de la recherche sur la migration et l’urbanisation sont exposées dans le rapport de l’OIM État de la migration dans le monde 2015. D’autres limites des données sur les migrations sont décrites sur la page consacrée aux sources de données sur les migration et sur d’autres pages thématiques.
Parmi les principales limites propres aux données reliant la migration et l’urbanisation, on peut citer les suivantes :
Absence de définitions normalisées – ce qui est considéré comme urbain ou une ville varie d’un pays à l’autre, voire dans le temps au sein d’un même pays, ce qui rend les analyses comparatives difficile. Il n’existe pas non plus de définition normalisée pour les personnes considérées comme migrantes. Certains pays définissent les « migrants » en fonction du pays de naissance, d’autres en fonction de la nationalité.
Il n’existe également pas de définition normalisée mondiale des migrations internes, qui dans certains pays alimentent davantage l’urbanisation que les migrations internationales.
Absence de données à l’échelle urbaine sur les personnes nées à l’étranger – même si les définitions étaient normalisées, la plupart des pays se contentent de recueillir et d’agréger des données sur les personnes nées à l’étranger à l’échelle nationale ou étatique, et non à l’échelle urbaine. Cela vaut en particulier pour les populations urbaines nées à l’étranger dans la plupart des pays à faible revenu. Ces données permettraient par exemple aux autorités municipales non seulement de satisfaire les besoins des migrants en matière de logement, de soins de santé et d’éducation, mais aussi de mieux les anticiper.
Absence de données ventilées par âge et par sexe – lorsque des données sur les personnes nées à l’étranger existent à l’échelle urbaine, elles ne sont pas toujours ventilées par des facteurs tels que l’âge, le sexe ou le handicap. Ces données pourraient fournir aux autorités locales des informations leur permettant d’estimer les besoins de groupes de migrants particuliers tels que les enfants, les jeunes, les personnes âgées et les personnes handicapées, et les lacunes des services qui leur sont proposés.
Lectures supplémentaires
Duncan, H. and Popp I.
2018 World Migration Report 2018, Chapter 10: Migrants and Cities: Stepping Beyond World Migration Report 2015, IOM, Geneva.
United Nations
2018 Sustainable cities, human mobility and international migration: Report of the Secretary-General, UN, New York.
2017 New Urban Agenda, Habitat III Secretariat, Nairobi.
International Organization for Migration (IOM)
2016 Conference on Migrants and Cities, IOM, Geneva.
2015 World Migration Report 2015: Migrants and Cities: New Partnerships to Manage Mobility, IOM, Geneva.
World Economic Forum (WEF) in collaboration with PwC
2017 Migration and Its Impact on Cities, WEF, Geneva.
Charles, A., Galal H., and Guna D.
2018 Preparing Cities to Manage Migration, A policy brief from the Think20 Migration Task Force, CARI and CIPPEC, Buenos Aires.
Jansen, K. et al.
2018 Economic Migration and the Role of Cities – Ensuring Social Cohesion, A policy brief from the Think20 Migration Task Force, CARI and CIPPEC, Buenos Aires.
United Nations Department of Economic and Social Affairs (UN DESA)
2018 World Urbanization Prospects: The 2018 Revision, UN DESA, Population Division.
2018 The World’s Cities in 2018—Data Booklet, UN DESA, Population Division.
2013 Cross-national comparisons of internal migration: An update on global patterns and trends. UN DESA, Population Division.
Singer, Ay.
2015 “Metropolitan Immigrant gateways revisited,2014” Brookings Institution.
George Washington University, Columbian College of Arts and Sciences
Globalization, Urbanization & Migration (GUM) website - provides empirical data at the urban-level to measure immigration in cities around the world.
- 1Most of the international migrants in Hong Kong SAR, China are from neighboring parts of China.